Le passage d’évangile que la liturgie d'aujourd'hui nous propose est la suite du dernier discours de notre Seigneur à ses disciples, et le centre d’intérêt principal de cette séquence me semble être l’amour mutuel au sein du groupe des disciples, c’est-à-dire le lien de charité qui devra unir ses propres disciples quand il ne sera plus là physiquement. En effet, dans ce texte qui ne comprend que six versets, le Seigneur fait revenir le verbe aimer quatre fois et le substantif amour une fois, donc au total cinq fois l’usage réuni des mots aimer et amour. Il faut ajouter que ce texte est encadré par la même idée, je dirais, par la même parole. En effet, il commence par « Mon commandement le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ; et son mot de la fin est encore : Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres. Ce qui montre que c’est un sujet qui urge, qui presse et qui préoccupe le Seigneur. Ses disciples à qui il s’adresse ne devraient donc pas prendre cela à la légère, mais comme un commandement, un ordre. Ce n’est pas de l’amusement, c’est sérieux, comme le dit quelqu'un.
« Aimez-vous les uns les autres » : les disciples sont invités par leur divin Maître à s’aimer mutuellement. Amour mutuel entre disciples ! Évidemment, le moins que je puisse penser, c’est qu’il ne s’agit pas ici d’une inclination les uns envers les autres, qui serait à caractère passionnel, encore moins sexuel, mais d’un sentiment vif, dynamique, qui pousse à se vouloir et à se faire mutuellement du bien, à se soutenir, à s’aider en se mettant les uns à la place des autres, dans leur vie quotidienne comme dans leur mission d’évangélisation.
Oui, amour mutuel entre eux ! Mais serait-il le type d’amour qui exclut les personnes étrangères à leur cercle ? Je pense que non. Nous savions déjà que le Seigneur avait déjà intimé ailleurs à ces mêmes disciples l’ordre d’aimer tout le monde, y compris les ennemis (cf. Mt 5, 43-48). Mais dans ce présent texte, le Seigneur leur ajoute l’enseignement sur le lien d’amour et de charité qui devra régir leurs rapports au sein de leur groupe. Ce ne sera pas des rapports de force, mais des rapports d’amour. Car, d’une part, en tant que disciples du Seigneur, ils ne sauraient être crédibles aux yeux du monde, si, en leur propre sein, c’est la loi de la jungle et de la haine réciproque qui régnerait ; leur groupe ne saurait être une équipe qui gagnerait s’il était déchiré par des tensions internes, des rivalités, des luttes fratricides et des coups bas de toutes sortes. D'autre part, le collège des Apôtres ne saurait non plus prétendre aimer et servir d’exemple à des gens de leur entourage ou loin de chez eux, alors que, entre eux, tout près, c’est le principe de « la raison du plus fort est la meilleure » qui bat son plein. D'ailleurs s’il en était ainsi, leur groupe pourrait-il tenir longtemps ? Le désir de leur Maître est la cohésion d’un groupe soudé par l’amour en vue de porter du fruit, et du fruit qui demeure. C’est à cette seule condition qu’ils réussiraient à être la lumière du monde et le sel de la terre (cf. Mt 5, 13-16).
L’amour dont les disciples doivent s’aimer les uns les autres, ce n’est rien d’autre que celui dont Jésus, leur Maître les a aimés. En cette matière, Jésus lui-même se propose comme le modèle à imiter : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». En effet, Lui, il les a aimés d’un amour total, de façon désintéressée, sans condition, jusqu'à leur laver les pieds comme un esclave le ferait à son maître. L’évangile de Jean le dit si bien : « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'au bout » (Jn 13, 1b). Il a aimé et n’a pas hésité à verser son précieux sang sur la croix. Il a compris la fragilité et les faiblesses de ses disciples ; il leur a pardonné leurs lâchetés.
Aujourd'hui, les disciples de Jésus, c’est tous ceux-là qui ont été plongés dans l’eau du baptême. Ce sont les chrétiens, les croyants. C’est toi, mon frère, c’est toi ma sœur, c’est tous les chrétiens laïcs, c’est nous les prêtres, ce sont les religieuses et religieux, et tous ceux-là qui sont au sommet qui servent dans la foi catholique reçue des Apôtres. C’est à nous tous que le Christ lance cet appel comme il l’a fait il y a plus de deux mille ans, à Pierre, à Jean, à Jacques, etc. : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Nous ne saurions plaire à Jésus notre Maître si nous ne nous aimions pas les uns les autres comme il nous a aimés. Nous ne saurions être ses amis si nous ne faisions pas ce qu’il nous commande. Aimons-nous les uns les autres en vérité et en esprit, et nous transformerons le monde. Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen.