Être avec Jésus. C’est tout l’enjeu de ce que les apôtres désirent, même confusément, derrière l’angoisse de la question de Thomas. Et c’est ce que Jésus lui-même promet avec assurance.
Être avec Jésus. Voilà qui ne dépend pas d’abord de nous, de notre ascèse, de notre travail, de nos planifications, de nos efforts ou de nos élans mystiques. C’est l’œuvre de Dieu, avant tout, qu’il s’agit d’accueillir et de laisser s’accomplir. C’est lui qui demeure avec nous. Nos mérites ? Non, tout le mérite est à Dieu, c’est sa victoire. En langue provençale, quand quelqu'un passe vers le Père, on aime dire qu’il « s’emparadise ». L’expression est pleine d’une suggestive espérance. Mais il faut pourtant bien préciser que c’est le Seigneur qui l’emparadise !
C’est profondément libérant si, comme Thomas, nous avons tendance à contingenter la grâce de Dieu à ce que nous croyons savoir de lui… « nous ne savons même pas où tu vas »… Illusion de sécurité qui nous fait nous raccrocher au savoir, à la quête de maîtrise, pour croire échapper à la réalité qui nous éclate implacablement à la figure ces temps-ci : nous sommes fragiles et limités.
La vérité est que nous ne savons pas grand-chose. Et d’ailleurs, savoir, même au plus profond de nous, que Dieu nous sauve ne nous immunise pas tout à fait, sauf grâce particulière, de la peur ou de l’inquiétude. Le reconnaître est déjà le début du salut. C’est ici la bonne piste du vaccin efficace. Il ne s’agira pas d’abord d’en savoir beaucoup sur les détails du salut, mais d’aimer, et donc, d’être avec le Sauveur.
« Ne soyez pas bouleversés » disait Jésus. Inaudible injonction en effet si nous nous fions à nos capacités seules : reconnaître que Jésus est le chemin, la vérité et la vie guérit de la présomption. Mais cela prend bien toute une existence pour emprunter ce Chemin, faire la Vérité, consentir à cette Vie. Être avec Jésus, sans fard ni distanciation sociale. Le laisser demeurer avec nous, librement. Le salut de Dieu est libération, qui s’expérimente plus qu’il ne se décortique.
À propos de libération, justement, le 11 mai 2020 se présente déjà bien différent du 8 mai 1945 que nous commémorons aujourd'hui. En 1945, la libération était effective, sûre, tout le monde s’embrassait et les cloches ont sonné avec l’assurance exultante de la victoire acquise. En revanche, notre libération du confinement nous apparaît précaire, comme une liberté peut-être provisoire, en tout cas bien partielle. Prophylaxie oblige, personne ne s’embrassera car l’autre sera un risque potentiel ; et dans l’incertitude ambiante, on hésitera à crier victoire trop tôt ou trop fort depuis nos clochers.
Pourtant, avec l’hésitation de ceux que le virus convoque à l’humilité, il nous reste bien cependant une certitude. Avec un célèbre théologien allemand qui l’avait payé de sa vie pendant la seconde guerre, nous pouvons conclure des paroles de Jésus d'aujourd'hui que « la victoire est certaine » . Nous n’en savons pas encore le chemin, comme Thomas, mais elle est certaine. Joli cataplasme de paroles qui ne coûtent pas cher, me direz-vous… n’y aurait-il pas un amalgame douteux de victoires superposées ? Dietrich Bonhoeffer – puisque c’est de lui qu’il s’agit – avait résisté de toutes ses forces au « virus » mortel de l’époque, mais sa foi le portait bien au-delà de cette victoire humaine.
Tout l’enjeu est d’être avec Jésus pour ne pas se tromper de victoire, ni de vainqueur.