Il y a moins d'un mois l’horreur a touché notre pays et nous en avons tous été profondément marqués. La cruauté de ces hommes assassinant froidement des membres de la rédaction du journal « Charlie Hebdo », des employés ou des policiers, comme celle du preneur d’otages de l’hyper cacher de la porte de Vincennes, nous sidère. Immédiatement, un cri s’est fait entendre, unanime, pour dire non à cette violence, à cette haine, à cette culture de mort.
En même temps, et comme toujours, l’horreur a côtoyé ce qui justifie de continuer à croire en l’homme : que ce soit l’abnégation du directeur et du graphiste de l’entreprise de Dammartin-en-Goële ou le courage de Lassana Bathily à Vincennes.
Rapidement aussi, le mot d’ordre de mobilisation a été « je suis Charlie ». J’avoue avoir été gêné par cette expression, qui s’est d’ailleurs vite multipliée, au fur et à mesure de ce que nous apprenions, en « je suis policier », « je suis musulman » ou « je suis juif ». Si je comprends bien la nécessité de la simplification pour la force d’un slogan, on a le droit de se reconnaître concerné par ce qui arrive aux victimes du journal Charlie Hebdo sans pour autant devoir, ou pouvoir, s’identifier à ce journal.
Plus profondément, c’est la présentation qui a été faite de cet évènement qui m’a mis mal à l’aise. Au-delà du caractère très particulier que l’on reconnaît au journal satirique, fallait-il en faire le symbole de la liberté d’expression, pour ne pas dire le cœur de notre République[1], alors qu’en 2014 il ne diffusait plus qu’à 30 000 exemplaires sur tout le territoire national[2] ? On ne peut pas dire que la majorité des français s’y reconnaissaient alors ou le considéraient comme essentiel à notre culture…
Enfin, le débat demeure autour de la question de la (oserais-je dire ?) « sacro-sainte » liberté d’expression. Au lendemain des attentats, le Cardinal Tauran (président du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux) avec des imams de France demandaient dans un communiqué, après avoir bien entendu fermement condamné ces actes odieux : « que les responsables des moyens de communication offrent une information respectueuse des religions, de leurs adeptes et de leurs pratiques, favorisant ainsi une culture de la rencontre »[3]. Seront-ils entendus ? Les balles seules tuent, certes, mais il y a des mots et des dessins qui blessent profondément. Est-ce ainsi que nous construirons notre « unité nationale » ? Mais de quelle unité veut-on alors parler ?
J’ai préféré laisser passer un peu de temps avant de faire ces remarques, qui je le sais sont partagées par bien d’autres : j’espère qu’elles n’offenseront personne. Puissent-elle par contre permettre le débat et inviter au dialogue, même au sein de nos communautés chrétiennes. La liberté d’expression doit bien permettre cela…
Père Michel ISOARD, curé
[1] Lettre du ministère de l’Éducation nationale du 7 janvier 2015
[2] Cf. www.humanite.fr du 6 novembre 2014
[3] Cf. www.eglise.catholique.fr/actualites du 8 janvier 2015